La Déchirure – Algérie de mon père, France de mon enfance, situe déjà le sujet
[…] 6.9.2 Moualek Touhami, un auteur engagé – et négligé
Le manque de réception journalistique caractérise aussi la parution de La Déchirure de Touhami Moualek. Cependant, les romans diffèrent beaucoup quant à leur horizon d’attente. La Déchirure, sorti en 2005, est son premier roman. Si on peut parler d’un horizon d’attente à propos de celui-ci, il n’a dû se constituer qu’à partir des attentes génériques des premiers romans en général, et des facteurs liés à la maison d’édition. De plus, La Déchirure est parue chez une maison d’édition, Éditions Osmondes, dont la distribution défaillante a sans doute contribué à marginaliser le livre auprès de la critique.
Outre ces indices généraux, l’ethos prédiscursif de l’auteur se limite à une lettre sous la rubrique de « La parole aux lecteurs » du Nouvel Observateur le 15 décembre 2005, signée « Touhami Moualek, auteur du livre ‘la Déchirure. Algérie de mon père, France de mon enfance’ (Ed. Osmondes). » Puis aux Editions EDILIVRE APARIS.
Nous y trouvons une posture d’écrivain engagé qui correspond parfaitement au roman, publié deux mois auparavant. Dans cette lettre, Moualek répond à un article du philosophe Alain Finkielkraut sur les émeutes de la banlieue qui viennent d’avoir lieu. Il accuse le philosophe d’occulter les discriminations dont les jeunes des banlieues seraient victimes, « dans ses analyses succinctes et réductrices à des critères purement et simplement ethniques et religieux » (Moualek 2005b). Le discours de Moualek dans cette lettre s’aligne sur une idée directrice de son roman, à savoir de mettre en évidence la proximité plutôt que le conflit des cultures chrétienne, juive et musulmane à travers les valeurs communes de leur religion :
Dieu merci, M. Finkielkraut, selon mes propres connaissances, les grandes religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam fusionnent parfaitement avec les valeurs morales universelles et fondatrices de la civilisation humaine. Je dirais même qu’elles en sont l’essence. (Moualek 2005b).
Ces indices en guise d’ethos prédiscursif de l’écrivain renvoient donc directement à l’ethos discursif qui ressort du roman. Les premières traces en sont données sur la quatrième de couverture, selon laquelle le but principal du roman serait d’inciter au débat et d’inviter « à réfléchir sur le caractère multiracial d’une société française en devenir » (Moualek 2005). Par sa présentation, il en découle également que l’auteur est impliqué dans ce travail de réflexion : « Né en Algérie, Touhami Moualek vit en France depuis l’âge de huit ans et s’est parfaitement intégré à la société française. »
Le fait d’accentuer ses origines et sa propre acculturation en France, jusqu’à son intégration dite parfaite, établit un ethos prédiscursif censé influer sur l’interprétation du roman : ces propos fournissent, en effet, la clé du roman.
Par la manière de capter le discours d’un des plus grands écrivains de la langue française (« Atala » de François-René de Chateaubriand), Moualek fait d’une pierre plusieurs coups :
- A. Puisqu’Atala est un récit exemplaire destiné à illustrer la doctrine développée dans le Génie du christianisme, La Déchirure peut s’approprier la démonstration déjà faite par le précurseur pour diriger son propre décryptage dans le même sens.
- B. La captation d’Atala est un moyen d’ouvrir cette « voie vers plus de compréhension et de tolérance » (Moualek 2005, quatrième de couverture) que se propose l’auteur. Comme nous l’avons montré, sans la scénographie empruntée à l’auteur du Génie du christianisme, le discours subversif de La Déchirure aurait annulé les intentions affichées.
- C. Finalement, par ce stratagème Moualek place son propre roman dans un cadre herméneutique différent de ce qu’il aurait risqué par le titre de son roman et par son patronyme arabe. Au lieu de se voir rejeté comme romancier « francophone », il peut par cette captation revendiquer une place dans la littérature française.
La posture impliquée par cet ethos discursif, est celle d’un auteur ancré dans l’héritage culturel français, qui revendique sa francité au-delà des différences ethniques. En même temps qu’il fait valoir une posture d’écrivain engagé, pour lequel l’écriture est un moyen de combat social, la captation d’un écrivain qui incarne le sens du style et de la beauté de la langue française témoigne d’une ambition de se positionner comme artiste. [Je laisse cela à l’appréciation de l’auteur Kenneth Olsson (Touhami Moualek)]
Moualek Touhami a mis l’esthétique au service du message. S’il l’a fait pour contrecarrer des attitudes négatives à l’égard d’un roman ouvertement « à thèse », force est de constater que cela n’a pas suffi pour attirer l’intérêt des critiques de la presse. […]
Point de vue personnel de l’auteur sur son roman
Vous comprendrez ensuite pourquoi cet ouvrage : « La Déchirure – Algérie de mon père, France de mon enfance » a été volontairement ignoré et mis de côté par la presse et les critiques littéraires françaises. Je vous conseille vivement de vous aider, pour une meilleure compréhension du roman, des explications fournies et analysées dans l’excellente thèse en Doctorat produite par Monsieur Kenneth Olsson (lien ci-dessous). Je laisse à ce dernier la responsabilité de ses propres déductions, même si je reconnais qu’il est très proche de la réalité. Il a noté les aspects esthétiques et poétiques du roman, et en cela il a tout à fait raison. J’ai voulu ainsi éviter les pièges des « Romans à thèse ».
Mais force est de constater qu’il est difficile en France d’imposer une autre forme de littérature réaliste, poético-stylistique, subordonnée aux réalités sociales, ethniques et religieuses et sensiblement différente d’une littérature « conventionnelle » et qui se veut être conjuguée dans une forme de temps que je qualifierais de « pensée à l’occidentale ». Je ne suis pas un Occidental, ni un Oriental acharné, mais je vis en Occident de même que j’emprunte une langue occidentale que le système colonialiste m’a imposée et qui est d’ailleurs une très belle langue que je revendique : rien à voir avec les comportements des colonialistes ; je dissocie bien les deux.
Mon combat n’est pas celui d’une reconnaissance à tout prix, à vrai dire je m’en contrefiche. Mon combat est celui de faire tomber toutes ces barrières que des hommes dressent contre d’autres hommes. Je ne suis pas un enfant d’un ancien colonisé qui se complairait dans une absurde victimisation. Je suis l’héritier d’un ancien colonisé ayant su à un moment donné de sa vie lutter et vaincre les chaînes du colonialisme. C’est dans cette optique que je me place, c’est dans cette optique que mon combat continue.
Kémi Séba me dira ouvertement : « Vous les Arabes, vous ne serez jamais des citoyens français à part entière, car vous serez toujours renvoyés à vos origines arabes. » Je réponds : « C’est par mes origines, donc mes racines, que je vis et ce sont elles qui nourrissent tous mes combats. En ce sens, je perpétue les combats de toutes ces femmes et ces hommes ayant lutté de tout temps contre l’intolérance, l’ignorance et le mépris des autres cultures et civilisations. »
La France est une Nation imprégnée d’une culture gallo-romaine (peut-être même plus romaine que gallo) mais également imprégnée et influencée par la civilisation arabo-musulmane. L’Occident s’est relevé sur les cendres de la civilisation arabo-musulmane composée d’un arbre à quatre têtes : Arabie, Afrique du Nord et Andalousie, Asie. L’histoire est là pour en témoigner.
L’islam compte aujourd’hui près de deux milliards de musulmans à travers la Planète. Et vous ne pourrez plus les taire tous. Non, c’est impossible. Nous devons donc nous comprendre, pour mieux nous entendre.
Touhami – INFOSPLUS
LIEN : Le discours beur comme positionnement littéraire Kenneth Olsson … [Pages 168 (roman à thèse) ; 239]