Il pleut sur les rives de ma triste solitude
Des mots et des images, remémorés dans notre subconscient, rangés dans les archives de notre mémoire. Le temps passe, à son rythme, avalant nos années à une vitesse effrénée. Hier n’est qu’à deux pas ; demain est encore si loin. Il reste tant de cols à franchir, de collines à monter, avant que ne s’éteigne la flamme d’une dernière bougie. La vie est cruelle ; elle donne, puis reprend sans prévenir, sans ménagement. Le chemin est encore long, la nuit tombe, la fatigue se ressent, le gîte est encore si loin.
Le temps est en marche. Inexorablement, il accomplit son destin. Il s’égrène, s’écoule comme la rivière glisse dans son lit. Nous avons tous des mots et des images gravés dans les vagues de nos matins gris, au fond d’un tiroir, bien rangés, à l’abri des regards indiscrets. Ils sont les témoins de notre séjour sur Terre dans un Monde dont nous ignorons tout.
Une odeur de rose, de jasmin, et un lointain passé revit. La couleur des yeux, des cheveux, retrace les récits d’hier, comme si c’était au présent. Ces jolies robes portées jadis, ces pantalons d’un autre âge, ces sourires d’enfant, ces cris de peine, de joie, éveillent des souvenirs précieux, auxquels nous tenons tant. La mémoire déborde, les chagrins laissent place à une nostalgie amère et douce.
Une saison, puis deux, et le temps s’éclipse toujours plus loin, dans un horizon infini, intouchable. Une nouvelle aube ; un nouveau matin, d’autres paroles, d’autres sourires se libèrent. Des âmes, des souffles meurent puis renaissent dans un éternel recommencement ; tout est régi, réglé à la perfection d’une horloge, propriété d’un Orfèvre hors pair. Signe que l’Horloger ne dort jamais, ne meurt pas. Il veille, guette, saisit au moment où l’on ne s’y attend pas. Dounya Ghaddara (la vie est traîtresse).
Les eaux de cette rivière coulent lentement, paisiblement. Elles s’écoulent, emportant, dans ses eaux miroitantes, nos premiers cris poussés quand nous parvînmes, proche d’elle, dans cette vie ici-bas. La rivière pleure mon absence. Je ne m’y baigne plus ; l’exil m’a éloigné.
Il pleut sur les rives de ma solitude. Le brouillard s’épaissit, masquant toute vue. J’ai un drôle de sentiment, celui d’être déjà passé par là, à cet endroit précis, tout près d’un puits asséché.
J’y jouais, en toute liberté, perdu dans l’insouciance d’une enfance vague et reculée. Du bout de la nuit, surgissent, du tréfonds de mon âme, les bruits des canons d’une guerre de libération naissante.
Algérie de mon père, tu m’as tout conté lors de cette nuit noire qui ne fut, Dieu merci, qu’un cauchemar passager. Il pleut sur les rives de mes souvenirs ; j’entends des cris lointains m’invitant à les rejoindre dans le crépuscule de la nuit.
France de mon enfance, tu m’as tout donné ; pourquoi veux-tu tout reprendre ? N’ai-je pas été à la hauteur ? Est-ce ces imposteurs, ces menteurs mystificateurs qui aimeraient briser tous nos rêves vécus à deux ?
Il pleut sur les rives de mon enfance.
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