Zyed et Bouna morts alors qu’ils s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF, là où ils pensaient être à l’abri des policiers lancés à leurs trousses ; des policiers qui ne leur viendront pas en aide alors qu’ils les savaient pertinemment en danger de mort
A la mémoire de Zyed et Bouna, morts trop tôt, trop jeunes…
Article paru en 2006, auteur : Touhami
Zyed et Bouna – Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005, la douleur des larmes
Zyed et Bouna – L’histoire d’une journée de vie de Zyed et Bouna. La communauté musulmane de France est en plein jeûne du mois de ramadan. Dans ces cités bétonnées, sans âme, soumises à la grisaille et aux malheurs, et où ne subsistent, du matin au soir, que l’ennui, les déboires et la langueur, un seul moment de répit, en ce mois sacré, celui de l’instant fatidique de la rupture du jeûne qui redonne un sentiment de vie et d’existence pour des familles entières. Un moment privilégié où se dessine l’espérance d’un au-delà meilleur, à défaut d’un ici-bas accueillant et tolérant. Il y a longtemps que la France court, voyage et visite. S’arrêtera-t-elle un jour, se retournera-t-elle un jour, pour observer, derrière elle, ses traces de pas, mémoires de son histoire ?
Pour échapper à une neurasthénie qui guette à chaque coin de rue, des bandes de jeunes jouent au football non loin de chez eux. Ils courent sans compter, tentant d’oublier la faim qu’inflige le jeûne, ainsi que toutes les misères d’un monde qui ne leur est en rien favorable, dans lequel ils se sont échoués, au nom du hasard pour certains, au nom du destin pour d’autres, comme s’échoue une feuille arrachée violemment de sa branche par des vents forts quand elle s’abîme sur un sol gelé et inhospitalier. La société a brisé tous leurs rêves à coups de discriminations et d’injustices, et refuse à ces gamins, filles et fils d’immigrés anciennement colonisés pour la plupart, tout ce qu’un monde outrageusement matérialiste offre aux élites. Ils courent après un ballon qui rebondit sur la terre ferme, frappé habilement et avec rage par les jeunes joueurs. Deux gosses, Zyed et Bouna, courent et transpirent sans se soucier du reste. Pourtant, le sort est déjà jeté. En effet, ils ne le savent pas, mais ils disputent leur dernier match de football avec leurs petits copains, insouciants, comme nous l’étions à leur âge, dans ce monde cruel.
Passage par un chantier en cours travaux
Le temps s’égrène à mesure que les mômes dépensent leur énergie sans compter. Le coucher du soleil se profile à l’horizon. Le soir tombe lourdement et la nuit ne va plus tarder à prendre possession des lieux et plonger les humains dans l’obscurité. Cette nuit, approchant à pas de velours, apporte avec elle le deuil et la tristesse. Et nul ne peut le prévoir ; le destin nous est caché, voilé. Nul homme, aussi puissant soit-il, ne peut se soustraire à cette règle divine. Zyed et Bouna ont-ils ce matin embrassé leur mère, leur père et leurs frères et sœurs une dernière fois ? Seul le repas qu’ils vont bientôt prendre avec leur famille occupe déjà leur esprit. Les joueurs décident d’interrompre le match, car il se fait tard. Assoiffés et affamés, ils vont vite rentrer à la maison ; un bon dîner chaud préparé par leur mère les attend. Ils pressent le pas. Certains, pour rentrer plus vite, vont passer par un chantier en cours de travaux où des engins mécaniques sont immobilisés. Dans les immeubles d’en face, des voisins à la fenêtre voient ces gosses passer par là. Ils croient à des actes de vandalismes, à des vols. Aussitôt, ils alertent la police.
Alertée, la police arrive rapidement aux bruits des sirènes et des lumières des gyrophares
Rapidement, la police arrive sur les lieux. Les jeunes gens voient la police patrouiller tous les jours, cela fait partie de leur décor quotidien. Mais en cette fin de journée, la police est arrivée de manière inhabituelle, les sirènes en alerte, presque l’arme au poing. Bien qu’ils n’aient rien à se reprocher, les enfants paniquent. Ils pensent à l’heure du repas qui approche au galop. Ils pensent à la garde à vue et aux parents qui devront venir les chercher au poste. Nul doute, les policiers leur semblent nerveux, prêts à les embarquer. Tant pis, les adolescents tentent de fuir. Zyed, Bouna et Muttin se mettent à courir. Ils veulent absolument échapper à ce contrôle d’identité qu’ils redoutent, qu’ils craignent. Ils sont immédiatement pris en chasse par des policiers. Paniqués, la peur au ventre, les trois jeunes, devenus fugitifs malgré eux, arrivent devant un transformateur EDF. Ignorant le danger, ils pénètrent à l’intérieur. Ils ont trouvé une cache idéale, croient-ils, pour semer les policiers lancés à leurs trousses. Il leur suffit d’attendre là, cachés, que les policiers s’en aillent. Mais les policiers tardent à partir. Ces derniers savent que les fuyards sont rentrés à l’intérieur. De puissants aboiements de chiens se font entendre. A aucun moment, les policiers ne se soucient du danger de mort encouru par les jeunes gens. Ont-ils eux-mêmes des enfants ? Connaissent-ils cette dure angoisse des parents lorsqu’un danger menace leurs enfants ? Il faut avoir une pierre à la place du cœur pour…
Muttin Zyed et Bouna se réfugient dans un transformateur EDF
Muttin, Bouna et Zyed se cachent dans le transformateur. Ils n’ont pas leurs papiers sur eux. Leur préoccupation reste celle de rentrer chez eux pour ne pas manquer l’heure de la rupture du jeûne. Muttin et ses amis entendent les puissantes sirènes des voitures de police. Zyed s’inquiète. Des trois, il est le seul à avoir eu affaire à la police, sans suite judiciaire. Son père a justement demandé une mesure éducative. « Si je vais au poste, mon père me renvoie en Tunisie », dira-t-il avant le drame. Selon des enregistrements des conversations téléphoniques qui s’ensuivent, un des policiers dit alors qu’il se trouve à l’extérieur du transformateur « Ils n’iront pas plus loin ! » et d’ajouter : « Je ne donne pas cher de leur peau. » Le procureur de la République demandera l’ouverture d’une enquête et mettra en examen des policiers pour non assistance à personne en danger. Muttin sera le seul rescapé. Blessé, il réussit, au bout d’efforts inhumains, à alerter les familles. Sans lui, peut-être n’aurions-nous jamais connu la vérité de cette tragédie. Zyed et Bouna mourront électrocutés, sans même avoir eu la satisfaction de couper leur jeûne avec leur mère. Ils sont morts à jeun, cernés par des policiers.
Le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy allume la mèche
Le Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, va adopter une attitude indigne d’un ministre d’Etat et indigne d’un homme tout court. Il va, en effet, immédiatement tenter de disculper la police, sans prendre de recul par rapport à ce drame et sans même connaître les réelles circonstances de cette tragédie. Le minimum aurait été qu’il émette des réserves en attendant d’en savoir plus, puisqu’il y avait mort d’homme. Pire encore, le Ministre de l’Intérieur va toucher le fond de l’ignominie en n’ayant aucun mot, aucun sentiment de compassion envers les deux enfants morts et leur famille. Jamais, il n’y a eu une telle arrogance et un tel mépris envers des enfants morts de manière atroce. Et lorsque le Ministre de l’Intérieur demandera (tel le roi qui convoque des sujets) à recevoir les familles des défunts, ces dernières vont, à juste titre, refuser de le rencontrer. La dignité affichée par les deux familles touchées par ce malheur sera exemplaire.
Rien n’est fait pour calmer, tout est fait pour attiser la haine
Vécus comme de véritables provocations, ces drames vont, en quelques heures, dégénérer en une explosion de violences sans précédent. Les forces de l’ordre iront jusqu’à lancer des gaz lacrymogène dans une mosquée bondée de fidèles qui prient et implorent Dieu. Des femmes musulmanes voilées sont également dans la mosquée et vont être invectivées, injuriées de tous les noms par quelques policiers provocateurs, irrespectueux et haineux. Des témoignages, recoupés, l’attestent formellement. Aucune excuse ne viendra de la part des autorités pour tenter de calmer les tensions. Rien, pas même un semblant de regrets. Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. Toute la Seine-Saint-Denis va s’embraser, devenir le théâtre de voitures incendiées, d’équipements sportifs et de bâtiments administratifs saccagés ou brûlés. Puis, c’est toute l’Île-de-France qui sera touchée. Enfin, la France entière sera en ébullition. Un vent de révolte gronde à travers tout le pays. Le Premier Ministre de Villepin ira jusqu’à instaurer un couvre-feu, comme au bon vieux temps des colonies et de la guerre d’Algérie… M. Jacques Chirac interviendra également au cours d’une allocution télévisée. « Vous êtes toutes et tous les filles et les fils de la République » dira-t-il. Il promet que le gouvernement va s’atteler à combattre les discriminations et faire en sorte que la diversité composée de minorités visibles soit mieux représentée dans tous les domaines et les différents pôles de la société française. Ces promesses vont demeurer vaines. Les candidats à l’élection présidentielle de 2007 devront se prononcer clairement sur tous ces sujets.
Azouz Begag, Ministre délégué à la promotion de l’Egalité des chances
M. Azouz Begag, Ministre délégué à la promotion de l’Egalité des chances, fera une brève et timide intervention. « Il ne faut pas traiter les jeunes de racaille et leur dire qu’on va leur rentrer dedans » dira-t-il, désignant implicitement Nicolas Sarkozy. Puis, c’est le silence radio. Plus aucune intervention. Sans doute lui a-t-on gentiment demandé de se tenir à l’écart. M. Azouz Bégag a, semble-t-il, une formation de sociologue. Et la question que l’on est en droit de se poser logiquement est la suivante : si un sociologue ne se prononce pas sur les graves émeutes survenues en octobre et novembre 2005, alors quand celui-ci se prononcera-t-il ? Et si M. Azouz Bégag a eu peur de rompre la solidarité du gouvernement, à laquelle il est tenu, alors il avait une solution simple pour recouvrer sa liberté de parole : la démission. Il ne l’a pas fait. Cependant, il dira, en substance : « Si à chaque obstacle rencontré on doit démissionner et abandonner son poste, alors on n’avancera jamais ». Certes, mais il aurait fallu dans ce cas prendre la parole, expliquer sa position et donner son avis sur la situation. Tous les hommes politiques, de tous bords, l’ont fait. Pourquoi pas lui ? A-t-il été otage de ses origines ? Ce qui est serait extrêmement grave.
Nicolas Sarkozy démenti par ses propres services
Le Ministre de l’Intérieur n’hésitera pas à affirmer que ces gamins étaient trop bien organisés pour agir seuls, insinuant ainsi que ces jeunes auraient été manipulés par des organisations extrémistes. Le Ministre sera démenti par ses propres services de renseignements. La seule et unique raison de ces émeutes urbaines est liée à des problèmes sociaux qui couvent depuis des décennies, et l’élément catalyseur a été le drame survenu le 27 octobre à Clichy-sous-Bois, suivi de déclarations irresponsables tenues par des hommes politiques belliqueux. Tous les sociologues sérieux et compétents en la matière seront unanimes : discriminations, exclusions, ghettos, cités-dortoirs, inégalité des chances, abandon de quartiers entiers à l’anarchie, errance, désespoir, paupérisation, déstructures des familles, sentiment de ne pas appartenir à la communauté nationale, etc. ont poussé à ces émeutes urbaines extrêmes.
La violence n’a jamais rien réglé, pire elle aggrave toute situation
Toutefois, il serait coupable de finir ce récit sans rappeler que la violence ne règle rien. Ceux qui veulent honorer la mémoire de Zyed et Bouna doivent le faire dans le calme, de manière pacifique. Répondre aux provocations consisterait à donner raison aux néo-réactionnaires qui n’attendent que cela pour prendre les pires mesures contre les banlieues. Il n’y a qu’une seule et unique voie, dans une démocratie, à opposer à ses pires ennemis : c’est celle du droit. Et 2007 (année charnière) va nous donner l’occasion d’exprimer nos voix et nos choix librement. La police doit continuer à exercer un maintien de l’ordre sur tout le territoire national, c’est essentiel pour la sécurité de tous. Mais elle doit le faire dans le strict respect des lois et toujours en donnant l’exemple. Car, M. le Ministre de l’Intérieur, un an après ce drame de Clichy-sous-Bois, nous voyons de manière évidente et criante les limites d’une politique basée uniquement sur la répression. Sans doute faut-il réprimer lorsque cela est nécessaire, personne ne le conteste. Mais il faut surtout prévenir pour ne pas avoir à user de la force. Autrement dit, mieux vaut prévenir que guérir.
A la mémoire de Zyed et Bouna…
A piétiner son histoire, on finit par souiller sa propre mémoire.
Touhami
Article publié en 2006 et repris en 2019 par le même auteur
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